mercredi 16 mai 2012

La sortie de l'euro de la Grèce : le faux débat

Les journalistes sont parfois affligeants. Ils ne cessent de relancer le faux débat d'une sortie de l'euro de tel ou tel pays, voire même de la France !

Pire : ils se lancent dans des évaluations farfelues (à l'image de celle-là). Elles sont incorrectes, car les journalistes comptent ce que ça coûte sans prendre en compte le fait que la dépense se fera dans le pays lui-même. Au niveau national, ça "rapporte" autant que ça "coûte"...

Mais pour bien mesurer tout le ridicule de la question, il faut rappeler les concepts fondamentaux autour de la monnaie.

La monnaie fiduciaire : la confiance avant tout

La base de l'économie est la confiance : vous ne faites affaire qu'avec les gens envers qui vous avez confiance (ou tout au moins vous pouvez faire confiance sur certains points).

La monnaie est devenue fiduciaire, c'est à dire que ceux qui l'utilisent sont certains que tout le monde va l'accepter contre des biens et des services. Sans le savoir, nous faisons aussi confiance en celui qui émet cette monnaie (la BCE). Nous lui faisons confiance pour qu'il ne fasse pas n'importe quoi avec la monnaie ; la BCE en émet ou en retire de la circulation de manière à contrôler l'inflation. (J'ai plusieurs autres articles sur le fonctionnement des banques centrales : )

Pour bien illustrer ce qu'est "n'importe quoi" et l'utilité de la confiance, voici deux exemples récents.

Le Dinar Yougoslave

Après la dissolution de la Yougoslavie en 2003, un pays nommé Serbie-et-Monténégro a existé. Depuis 2006, les deux pays se sont séparés.

Le Monténégro et le Kosovo ont adopté unilatéralement l'euro comme monnaie depuis très longtemps. En réalité, c'était même bien avant que la monnaie officielle du pays ne soit plus utilisée. Avant l'euro, ces pays utilisaient officiellement le Deutsch-Mark depuis 1999. En 2001, le dinar n'était plus reconnu. Le Deutsch-Mark a été converti en euro du 1er janvier au 31 mars 2002.

L'adoption d'une monnaie étrangère, fait suite aux guerres d'indépendance en Yougoslavie. Pour ses dépenses, le gouvernement fait tourner la planche à billet.

Au début des années 1990, le gouvernement yougoslave créa un nouveau dinar valant un million d'anciens dinars. (note : DEM = deutsch mark)

  • 12 novembre 1993 : 1 DEM = 1 million de nouveaux dinars
  • 24 novembre 1993 : 1 DEM = 6,5 millions de nouveaux dinars
  • 30 novembre 1993 : 1 DEM = 37 millions de nouveaux dinars
  • 11 décembre 1993 : 1 DEM = 800 millions de nouveaux dinars
  • 15 décembre 1993 : 1 DEM = 3,7 milliards de nouveaux dinars
  • 29 décembre 1993 : 1 DEM = 950 milliards de nouveaux dinars
Un nouveau nouveau dinar valant un milliard de nouveaux dinars fut mis en place, sans aucun impact sur l'inflation. En effet, l'hyperinflation continua :
  • 11 janvier 1994 : 1 DEM = 80 000 nouveaux nouveaux dinars
  • 13 janvier 1994 : 1 DEM = 700 000 nouveaux nouveaux dinars
  • 19 janvier 1994 : 1 DEM = 10 millions de nouveaux nouveaux dinars
Le 24 janvier 1994, le gouvernement créa le super dinar valant dix millions de nouveaux nouveaux dinars.

Le Dollar du Zimbabwe

Ci-dessous, voici les billets émis par la réserve-banque du Zimbabwe. Pour faire face à l'inflation des billets de 100 milliards de dollars zimbabwéens sont émis. En juillet 2008, 2,2 millions de dollars zimbabwéens avaient la même valeur que cent dollars zimbabwéens en juillet 2007.
Devant l'impossibilité de contrôler l'inflation de 2000 à 2007, le gouvernement du Zimbabwe est forcé d'adopter les monnaies étrangères.

Depuis 2007, la situation s'est stabilisé et la croissance est revenue. La monnaie officielle du pays est le dollar américain.

Retour en Grèce : l'impossible retour au drachme

Le retour au drachme est impossible. La principale raison étant que les importations et les exportations se feront de toute façon en euros. Combien même les habitants se feraient payer en drachme, ils s'empresseront de convertir en euro leur salaire.

Quand un pays change de monnaie, l'ancienne monnaie perd toute sa valeur le jour où plus personne ne l'accepte. Les habitants n'ont donc pas de choix : ils doivent échanger leurs pièces et leurs billets. Dans le cas du retour au drachme, l'euro aura toujours bel et bien cours dans le reste de l'Europe.

Les grecs auront donc le choix entre deux monnaies, le drachme et l'euro, dont l'une va à coup sûr se dévaluer plus vite que l'autre. Que feriez-vous dans une telle situation ?

Car, soyons réalistes, le drachme aura du mal à avoir des garanties supérieures à l'euro.

Le vrai débat et les erreurs du passé

Le seul est vrai débat : comment organiser le défaut de paiement de la Grèce ?

Car la grosse, l'énorme erreur qui a été faite par le passé, c'est que les investisseurs ont prêté à tous les états de la zone euro au même taux.

Il faut que chacun en tire des leçons, et que les investisseurs prennent leur perte, même si c'est au travers des assurances-vie, qui n'étaient pas aussi sûre qu'a voulu nous le faire croire le gouvernement (et la droite française).

Les peuples européens doivent apprendre à reconnaître et à sanctionner les élus qui gèrent mal une mairie, un département ou un état : une assemblée d'actionnaire vire sans remord un mauvais PDG. Pourquoi Nicolas Sarkozy n'a pas été évincé avec un plus grand écart de voix ? Pourquoi le président de la république ne rend aucun compte à la fin de son mandat ? Quand verra-t-on enfin en France, un ancien président en prison pour pot de vin et trafic d'influence ?

Les leçons :

  • le gouvernement (et la droite, et les banques) nous ont menti sur les garantis (notamment des assurances-vie)
  • les bons du trésor de chaque pays de la zone euro ne se valent pas
  • les notes des agences de notations ne représentent que l'avis personnel et idéologique de son employé qui note : même si cet avis est éclairé, il n'est pas infaillible
  • les peuples doivent sanctionner leur dirigeants.

La loi, c'est l'état

Si l'état grec décide de ne pas rembourser toute sa dette, c'est son droit. Car c'est l'état qui écrit et applique les lois. Les investisseurs sont habitués à gérer les risques. Les CDS (assurance sur le défaut de remboursement d'un crédit) sont là pour ça ! Si ce mécanisme a été inventé, c'est bien pour qu'il serve un jour, non ?

Nos politiques ont bien-sûr peur que le peuple se rende compte que les états n'ont aucune obligation de rembourser leur crédit. En particulier, pourquoi un gouvernement de gauche qui succède à un gouvernement de droite dont la gestion budgétaire a été calamiteuse, devrait assurer le remboursement du déficit publique du prédécesseur ?

Un état n'est jamais en faillite, car personne d'autre que l'état ne peut saisir des biens. L'état fait défaut, et la vie continue.

"Il incombe à chaque génération de payer sa propre dette au fur et à mesure. Un principe qui, s'il était adopté, empêcherait la moitié des guerres dans le monde." Thomas Jefferson

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